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Portrait de Claudine Gilbert

D'après le Livre "À Tire-D'Elles, femmes, vélo et Liberté", de l'auteur suisse Claude Marthaler.


Claudine est « tombée amour » avec le cyclisme de compétition. Elle poursuit des études en sexologie à l'Université du Québec à Montréal et s'est spécialisée dans le « syndrome du cycliste ».


Brutal fut le premier contact de Claudine avec une bicyclette. À huit ou neuf ans, son sac d’épicerie s'accroche dans les rayons de sa roue avant et elle effectue un double roulé boulé avant de se retrouver dans un fossé, le poignet en sang. Une cicatrice et de nombreuses années plus tard, elle entre dans le monde du cyclisme, comme hôtesse, « en montant sur le podium, afin de donner des maillots, fleurs et bisous aux vainqueurs d’étapes ». Une incursion furtive qui s’avérera pourtant déterminante puisqu’elle sera embauchée par la suite comme Designer Graphiste, son métier, pour le Tour de Beauce (Québec).


Cette battante qui est bien sûr en faveur de l’égalité des sexes ne se considère pas pour autant pas féministe endurcie. Elle nous éclaire aussi sur quelques maux et tabous du cyclisme et nous raconte sa dernière aventure : la création de SHE cycling, une équipe féminine de cyclisme.


Face au vélo, un milieu plutôt misogyne comme le sport en général, se tailler une place en tant que femme qui n’a jamais fait de compétition n’a pas été facile et de tout repos. Claudine se l’est forgée selon ses prores dires,« en étant une femme de tête, en ayant une grande ouverture d’esprit et en donnant mon 110 % dans tout ce que j’entreprenais (...) ce qui m’a permis d’être respectée et d’évoluer au sein du cyclisme au Canada. J’ai dû me battre contre de grands préjugés et encore aujourd’hui beaucoup d’équipes masculines n’engagent pas de femmes, car elles sont considérées par les hommes comme des sources de distraction ».


Claudine commence par dresser une constatation unanime sur la planète : « il y a encore beaucoup de travail à faire pour l’égalité entre hommes et femmes, sur tous les plans de nos sociétés et pas juste dans notre sport ! De grandes avancées ont été effectuées dans certains pays, mais malheureusement, culturellement la femme est majoritairement dans l’ombre de l’homme. (...) Si le vélo a pu aider certaines femmes à s’émanciper, ce sera déjà une belle victoire. (...) je pense par exemple à l’équipe féminine de cyclistes de l’Afghanistan » (ndlr : voir portrait Shannon Galpin).


Vélo et éros La sexologue rappelle les stéréotypes de genre auxquels nous sommes tous confrontés : « Du côté de la femme, il y a une forte érotisation du corps. Le rappel constant de son statut de femme et les références à la vie privée démontrent la présence d’un discours dichotomique. Par exemple, un athlète masculin ne se fera jamais demander s’il aime le magasinage (« faire les magasins » en québecois) ou quel mascara il utilise, mais l’athlète féminine aura à répondre à ce type de questions lors d'interviews suite à ses performances ». Claudine cite également le cas de deux triathlètes professionnels qui à performances et victoires égales, s’attirent pourtant, dans la bouche d’un collègue masculin, des commentaires bien différents. À l’homme les qualificatifs de « fort, puissant et performant », à la femme (qui pour du coup était vraiment belle), ceux de « belle, sexy et glamour ».


Elle mentionne le lien intime reliant le vélo à l’éros, une affaire décidément pleine de rebondissements : « Il est certain que le vélo embrasse directement le corps du cycliste, les uniformes également. Toutefois, comme dans plusieurs sphères de la vie, on érotise facilement quelque chose qui ne l’est pas nécessairement. Le corps de l’athlète reste un corps idéalisé qui s’érotise à la moindre occasion. Il est beau, bien sculpté, attirant, un canon de beauté (de notre époque). C’est la beauté de la langue française et de l’imagination également qui permet d’imager ce que l’ont veut bien érotiser ».


D’hier à aujourd’hui, « les femmes possèdent un fort pouvoir d’attraction pour les publicitaires. Pour eux, le corps de la femme est celui d’un objet. Que ce soit une voiture ou un vélo, ils veulent vendre un produit. Le sexe vend, la femme-objet vend. Certaines athlètes reproduisent le modèle hyper érotisé tandis que d’autres se rapprochent du modèle athlétique et de performance généralement attribuée aux hommes. L’importance de l’apparence et la primauté du statut de femme restent présentes dans les commentaires médiatiques et publicitaires même encore aujourd’hui ». Une longue histoire en effet, qui a commencé pour la bicyclette à la fin du 19e siècle où l’on engageait des artistes-peintres pour la publicité. La magnifique affiche des Cycles Gladiator (1895) où l’on voit une femme nue et ailée s’envoler au guidon de sa bicylette n’est qu’un exemple éloquent parmi d’autres.


D’une façon plus générale et au quotidien, Claudine évoque la partition gendrée du territoire : « Peu importe où elles se trouvent dans le monde, la culture du viol est omniprésente pour les femmes. Alors, traverser un endroit de la ville en vélo et se sentir en sécurité est en partie illusoire. Un quartier dangereux restera dangereux, à pied ou à vélo ». Une thèse confirmée par le géographe et maître de conférence Yves Raibaud dans son livre La ville faite par et pour les hommes, (Édition Belin, 2015).


Vers plus de cyclisme féminin ?

Comment donc favoriser le cyclisme féminin de compétition ? « De nos jours c’est d’abord une question de visibilité: Avoir des campagnes de communication axée sur la pratique du sport cycliste féminin et promouvoir les valeurs des nouvelles générations de championnes pourrait grandement contribuer au développement de notre sport. De cette façon, ce serait efficace pour faire évoluer le regard du grand public. L’initiative de certaines fédérations sportives joue également un grand rôle dans la visibilité du sport féminin. Avoir des primes égales aux courses serait déjà une grande avancée. Heureusement, certains évènements sportifs le font de plus en plus. En encourageant la médiatisation du sport féminin avec des actions concrètes, nous pouvons contribuer à un plus grand attrait des partenaires ou commanditaires. »


Alors, la pratique du vélo est-elle un instrument révolutionnaire, comme le pense Shannon Galpin, en matière de libération corporelle par exemple ? « Oui et non. Voyez l’équipe cycliste afghane, qui est pourtant une équipe nationale, ces femmes se rendent à l’extérieur de la capitale en voiture, pour pratiquer leur sport et éviter les regards agressifs provoqués par leurs tenues vestimentaires. Toutefois, c’est tout de même une petite révolution comme je les aime».


Dans le monde de la compétition, « Depuis deux ou trois ans, on sent un vent de changement positif envers le cyclisme féminin. Avec des courses telles que La course by Le Tour où l’ont a pu voir une de nos meilleures Canadiennes sur le podium, Leah Kirchmann, l’avenir n’est que prometteur ».


Last but not least, Claudine a bel et bien lancé son projet intitulé SHE cycling. « En 2018, je veux avoir des fondations solides pour pouvoir bâtir cette équipe et donner le meilleur possible aux athlètes féminines qui y prendront part ». Son combat est l’égalité des genres par l’empowerment  - automatisation, responsabilisation, émancipation - le mot n'a pas son équivalent en français. « Je veux que ces athlètes aient le même support financier, matériel, logistique et humain, qu’une équipe masculine de niveau UCI2 continental américaine. Il y a de grandes inégalités concernant tous les aspects, surtout le budget, si l’on compare les équipes féminines et masculines. Je veux faire changer les mentalités sur le cyclisme féminin, car elles le méritent et travaillent aussi fort que les hommes.»


ENCART

Le syndrome du cycliste

La bicyclette que l’on aime et sa selle que l’on aime parfois moins ! Lorsque je voyage, partout dans le monde, c’est la première partie du vélo que les gens touchent et à propos de laquelle ils posent des questions associés à l’idée de douleur. Sexe et cyclisme sont-ils conciliables ? Les explications de la sexologue Claudine Gilbert : « Le trouble le plus commun chez ceux qui pratiquent ce sport, c’est le syndrome du cycliste (ndlr : syndrome d’Alcock). Tout d’abord, il faut savoir que ces troubles sont occasionnés par la compression du nerf pudental, plus communément appelé le nerf honteux. Pour les cyclistes, le fait d’être assis sur une selle de façon prolongée en est à l'origine. Des troubles sexuels peuvent être observés et peuvent revêtir différentes formes. Pour les hommes, l’éjaculation est source de douleur et d’aggravation. Les érections sont moins fermes voire absentes. Le contrôle de l’éjaculation est difficile et l’expulsion du sperme se fait mal. Pour les femmes, les problèmes sont du même ordre. Douleurs durant les rapports, absence de plaisir, clitoris et vulve hypersensibles, gêne à la pénétration. C’est certain que la libido en est très affectée, autant physiquement que psychologiquement et il n’est pas rare que les personnes atteintes mettent de côté leur sexualité, car elle est source de douleur. Quand bien même, aucun lien direct avec la perte de leur virginité ou encore la perte de fertilité due à la selle. La fertilité est bien plus susceptible d’être affectée par un taux de gras trop bas. Si l’athlète n’a peu ou plus de gras, cela peut devenir problématique, car le gras est conducteur de testostérone. L’athlète arrête alors d’en produire naturellement. Par exemple, chez les femmes, le fait de ne plus avoir de testostérone fait arrêter les règles de celle-ci. Pas de règles égal pas d’ovulation et pas d'ovulation égal pas de fertilité.


Un bon ajustement sur votre vélo fait par un professionnel, une selle adaptée à votre physionomie suffit généralement. Dans de rares cas, certains auront besoin d’un traitement de physiothérapeutique ou encore l'aide d'un ou d'une sexologue et le tour est joué ! Du côté de la fertilité liée à la testostérone, ce problème se règle facilement aussi. L’athlète, féminine ou masculin, n’a qu’à engraisser et tout retournera dans l'ordre.


« Il existe quelques études scientifiques concernant le syndrome du cyclisme du côté des physiologistes, des kinésiologistes, des biologistes, mais il n’existe encore rien du côté sexologique, ce pour quoi j’aimerais être une pionnière dans le domaine. Je voudrais explorer les impacts psychologiques du syndrome du cycliste sur les couples.»


Pour vous procurer le livre de Claude Marthaler, À tire-d’elles – Femmes, vélo et liberté, veuillez contacter les Éditions Slatkine – www.slatkine.com ou l'auteur lui-même.


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